6 octobre 2011

Varia (5)

1- La souffrance de la population québecoise ne connaîtra vraissemblablement pas de limite.
On a tous un beau-frère ou un oncle ou un grand-père (etc) en attente de six mois ou plus d'un traitement ou simple rendez-vous concernant un cancer, ou autre problème mineur.
Et puis on se met à chercher des solutions ailleurs qu'en la médecine.
Combien de personnes (ça, les journaux éviteront certainement d'en parler) ont vu leurs existences prendre une tournure nouvelle, lumineuse, à la suite d'un bref passage à une bibliothèque publique. Un mot et tout est sauvé ; un mot et tout est perdu disait André Breton.
J'avais entendu parler avec grand intérêt du livre Comment j'ai vaincu la douleur et l'inflammation chronique par l'alimentation. Aujourd'hui, en cette magnifique journée d'automne qui fleurait bon l'espoir, je me suis rendu à la succursale de Rosemont-La Petite Patrie, afin d'emprunter, ou du moins de réserver ce livre.
Tandis que l'ordinateur cherchait le titre dans une banque de données d'une profondeur que j'imaginais abyssale (celle du réseau des bibliothèques publiques de Montréal), j'admirais la poitrine magnifiquement développée de la bibliothécaire, que ne parvenait pas à dissimuler un épais chandail de laine. Déjà, je le retrouvais, l'espoir.
Chose prématurée d'ailleurs: La jeune femme m'expliqua sans émotion aucune, le regard absent, qu'il y avait déjà deux cent vingt réservations pour ce titre.
Mais il y a plusieurs exemplaires, ajouta-t-elle. Voulez-vous quand même réserver?
En quittant la bâtisse, je ressassais un autre passage de Breton, le fameux Je vous souhaite d'être follement aimée, qui clôt son recueil L'Amour fou. J'ai lu ça y a environ vingt ans. J'ignore pourquoi ça me revient, là, tout d'un coup.
Je vous souhaite d'être follement aimée. J'aurais dû dire ça à la fille, la bibliothécaire, tiens. Juste pour voir.

2- Entre deux seins, j'ai tout de même trouvé une demi-seconde pour examiner ce que le gars d'à côté empruntait: Hormis des CD de Pat Metheny, un DVD du film The Mummy, un livre qui s'intitulait Comment augmenter la puissance de votre cerveau grâce à quelques exercices faciles.
Il s'agit d'une de ces journées où tout est léger, me semble-t-il, comme les feuilles rouges, jaunes, dorées, qui volent au vent, magnifiques. Une journée où la bonté de coeur l'emporte sur l'ironie, voyez-vous?
Le gars ressemblait aux Denis Drolet. Version neurasthénique.

3- Et si le plaisir était la clé de la guérison? N'ayant pas eu la chance de consulter l'ouvrage Comment j'ai vaincu la douleur et l'inflammation chronique par l'alimentation au préalable, je décidai de m'arrêter au restaurant La Belle Province, rue Beaubien, le temps de quelques délicieuses frites maison. Le temps aussi de ruminer l'avenir, de l'envisager. Et puis il y avait toujours cette adolescente incroyablement sexy derrière la caisse, qui prend votre commande avec une froideur, disons-le, extrêmement érotique. Chaque fois je m'imagine qu'elle et moi on commence à se fréquenter, les soirs, après la fermeture du resto: Je viens l'attendre et puis on se rend à sa chambre de collégienne en désordre, où je lui repeins son joli petit cul à coup de langue toute la nuit, lourde en émotions; Nos existences qui chavirent, se transforment en un grandiose film d'amour-porno-trash! Le rêve, quoi!
Apparemment, cette jeune personne a récemment changé d'emploi, ou simplement demandé à son arrière grand-mère de la remplacer pour la journée. Anyways.
Les frites, plus qu'abondantes, cuites et assaisonnées avec art, par le même moustachu à l'air blasé qu'à l'habitude, ainsi qu'un exemplaire du Journal de Montréal datant de plus d'une semaine, maculé de taches de graisse, m'ont procuré un réel plaisir. Ça et l'ambiance particulièrement calme et silencieuse qui régnait dans le restaurant nimbé de soleil. On aurait cru entendre une mouche voler. Plusieurs petites mouches, au fait, tournoyaient autour des sachets de ketchup abandonnés sur la table d'à côté.

Je n’ai jamais éprouvé le plaisir intellectuel que sur le plan analogique, disait encore Breton: Pour moi, la seule évidence au monde est commandée par le rapport spontané, extra-lucide, insolent qui s’établit, dans certaines conditions, entre telle chose et telle autre, que le sens commun retiendrait de confronter.

Bon Dieu que j'aime les pensées rouges, les mots dorés, qui volent en l'air, les souvenirs et les rêves secs, ou humides, comme des feuilles mortes. Ou vivantes.
Les chandails de laine et l'automne guérisseur.