16 décembre 2013

Vin de pays

    L’odeur des vidanges éparpillés dans la ville atteignait un certain degré de raffinement : On pouvait utiliser le mot parfum : de fruits qui macèrent, de cerises écrasées, noyées dans un peu d’eau de l’aqueduc –infusée de vieilles branches, de mégots, de vieux thym et de pelures de patates.
    C’était Noël et je ne voulais pas faire comme les autres gueux : me cacher ou me mettre à genoux pour susciter la pitié. J’allais sortir de mon taudis et chercher de quoi célébrer : J’allais trinquer, moi aussi ! La commune de Marcillac et ses rangées bien tassées de fer servadou se trouvant plutôt loin de notre charmante petite ville glacée d’Amérique du nord, je pensai que mon imagination allait devoir se remettre au travail pour parvenir à me fournir un cru potable et surtout… gratuit. Comme un vieux moteur un peu rouillé qu’on ressortirait du cabanon abandonné de nos rêves ; Un peu d’huile et l’imagination pourrait à nouveau tourner, cracher sa vapeur…

    La soirée exceptionnellement douce avait réuni les familles dans les appartements du quartier pauvre où, malgré tout, l’on faisait cuire gigots, cipâtes et ragoûts, arrosés de mauvaise bière et de vin de dépanneur. La mémoire d’une autre époque se lisait sur les visages tordus de joie, de gêne ou de rage, et dans les yeux grands ouverts des enfants plus abasourdis qu’émerveillés. L’air était anormalement chaud, si l’on comparait à celui du vingtième siècle et je me disais qu’une source devait même couler en quelque partie de la ville, d’un mélange de cépages grossiers vivotant dans quelque souillure. Certains ivrognes notoires auraient fait allusion à ce phénomène, déjà, dans des accès de delirium tremens, mais sans fournir trop de précisions, bien entendu. Il fallait découvrir par soi-même ; Je me mis aussitôt à l’ouvrage.
    Je partis donc faire les vidanges, sans grand succès : la cueillette ayant été reportée pour cause de fête, je trouvai peu, et surtout du solide. Quelques bouteilles vides, bien sûr… complètement vides. Je repasserais dans deux ou trois jours pour les vidanges tardives. En attendant, j’avais soif. Sous l’autoroute Dufrein, me semblait-il, j’aurais une chance de trouver à boire. J’y rencontrai effectivement d’autres gueux, en train de se faire un sang de cochon avec des petites baies (réputées toxiques) cueillies sur les terre-pleins avoisinants. Mélangé à l’eau qui avait recommencé de couler sous les ponts (échangeurs d’autoroute) en minces filets, vu la température, et « embouteillé » dans divers contenants glanés ça et là (on me remit une bouteille de lave-vitre), l’on en vînt à se constituer une cave presque acceptable. Du moins, j’avais trouvé mon terroir.
    En bouche, l’effet était colossal, indescriptible… incompatible, c’est certain, avec le verbiage que je connaissais. Ce vin nous amenait ailleurs : Un long voyage immobile qui consistait à tomber continuellement, sans jamais se relever. Un jeu de rôles où tous les gueux se confondaient en sons glauques, grimaces étranges et pas de danse ratés. Les heures passèrent.

    La robe rubis du ciel finit par s’effriter, vers la fin de la nuit, au profit d’un vieil or splendide. Parallèlement, mes rêves m’amenaient de Cahors à Sauternes, de la noirceur vers la lumière. Le lendemain commençait.
    J’avais les tripes en feu, mais du moins, Noël était affaire du passé.

24 septembre 2013

Expo

Il me fait plaisir de vous inviter à passer au Dépanneur Café, rue Bernard à Montréal, quelque part en octobre...
J'y exposerai une douzaine de photographies.
Pour ceux/celles qui ne connaissent pas l'endroit, c'est un lieu... disons très relax, typique du Mile-End: divans, tables et chaises dépareillés, etc. où il fait bon petit-déjeuner ou prendre une tisane l'après-midi en écoutant des musiciens live, rarement amplifiés... pianoteux, accordéonistes, chanteurs/euses, y a même un joueur de cithare indienne des fois...
Il n'y aura pas de vernissage. L'endroit n'est pas ouvert le soir, et ne possède pas de permis d'alcool.



"Le petit prince a dit: On ne voit bien qu'avec le cœur. L'essentiel est invisible pour les yeux.
Je ne suis pas nécessairement en désaccord avec cette proposition, mais voilà je trouve ça un peu consensuel, et ça, ça m’énerve. Le livre est très beau, oui, franchement j’aime ce livre de Saint-Ex, mais il me semble que c’est aussi le genre de phrase que Céline Dion, par exemple, pourrait nous balancer en entrevue. Ou pire dans une chanson. Cette perspective horrible appelle une sorte d’opposition. Une révolte, primaire, soit. C’est pourquoi, entre autres, je dis que l’essentiel est visible...
Et puis pour un photographe, ou tout artiste visuel, à bien y réfléchir, il me semble que ce principe doit constituer une base de travail: que l’essentiel puisse être visible à l’oeil nu, si l’on sait y faire un tant soit peu.

Entre le viaduc Van Horne, la rue Marmier, à quelques pas d’ici, et le Cap-aux-Meules (Îles de la Madeleine), à quelques 1600 kilomètres, il n’y a qu’un pas, que j’ai osé franchir. Après tout, les vieux sacs de plastique et toiles de bateaux abandonnés s’accrochent aux barbelés partout dans le monde, sans discrimination, n’est-ce pas? La beauté vient de ce que le vent, la neige, la pluie, le temps, s’occupent de transformer tout cela en une sorte de méditation profonde.
J’y ai trouvé un sens, difficile à exprimer avec des mots. Un sens plein d’ambiguïtés, de rêve. Un fouillis d’idées qui ne veulent pas se préciser, qui répugnent à trouver consensus. Une sorte de paix qui demande l’aumône, un dimanche matin d’hiver, dans ce recoin de la ville où t’as oublié de regarder, où personne ne va sans y être obligé.

Ils veulent en faire un parc, un complexe immobilier, mais pour l’instant, autour de la track de chemin de fer, règne encore cette sorte de beauté lunaire."

Carl

3 septembre 2013

Alexis Lefrançois

Alexis Lefrançois, L'oeuf à la noix, poèmes et petites choses (éditions Nota Bene)

2 septembre 2013

Les gens sont-ils des chiens?

Ils tapotent la terre toute la journée.
Bruits de tête, bruits de ventre.
Code morse, borborygmes.
Personne ne sait.

24 août 2013

Le temps ne passe pas

Le tonnerre s’est approché très vite, jusqu’à devenir intime.
On aurait dit que tout le monde dormait.
Un fruit, tombé du lampadaire, s'est écrasé sur le trottoir.

23 août 2013

Les morts sourient

J’éteins un petit feu après l’autre.
Tout autour de moi, ils se rallument, aussi vite.

15 août 2013

Lampe

L’essentiel est visible.
Parle-moi des ténèbres.
Dis-moi quelque chose de simple.

14 août 2013

Quelque part

Tes yeux, pleins d’espoir, se referment.
L’inespéré n’arrive pas.
Pourtant existe.

12 août 2013

Rien d'autre à faire

J'embrasse le temps qui passe, miettes de lumière dans la nuit noire.
Une grenouille minuscule grouille dans ma main.
Les êtres sont-ils partie de la terre, comme les arbres?
Ou en sont-ils détachés?

11 août 2013

Vieil or

Le monde d'avant n'existe plus.
Tes rêves d'aujourd'hui sont secs.
Vieil homme aigri, qui s'en va mourir, ne vois-tu rien venir?

10 août 2013

Époque

Il est minuit.
J'entends des flopées d'enfants qui jouent dehors.
À quelle époque sommes-nous?

18 juin 2013

12 mai 2013

30 avril 2013

Carrousel

La boîte à chaussure que tu tiens dans tes mains contient ton cerveau.
Malaise de ressentir au bout des doigts cette chaleur propre à la vie organique, qui traverse le carton, balancement irrégulier de la masse qui roule à l'intérieur, au gré de tes gestes volontaires, involontaires.
Car tu te dodelines, selon ton habitude, affichant ce sourire vide des grands jours.
Mais le jour s'est mué en soir, à mesure que le monde a changé. Tu ne t'en es même pas rendu compte.

Ton intelligence a toujours été plutôt confinée, sauf qu'aujourd'hui c'est devenu l'évidence. Ce n'est plus une allégorie, tout le monde pourrait le voir. Mais personne n'est là.
Le vieux jour clinquant, bruyant, celui qui t'as usé, n'a plus de réalité. La noirceur a trouvé sa niche, et les insectes recommencent leur vie intense, dans la tiédeur. On entend des bruits dégueulasses: De la chair qui s'enfonce dans de la chair, une évocation de la jouissance mélangée au désespoir. On ne sait pas d'où ça vient. Comme si on cherchait à mourir en se privant d'air mais qu'on ne trouvait qu'un souffle encore plus grand, impossible à contenir, immense. Comme quand on déplie l'accordéon.

Pense au soulagement que tu connaîtrais, si tu ne te réveillais plus dans ce monde. Si tu n'en revenais pas de cet univers sombre.

Les lumières du soir font des lignes de couleur autour du monde, et à force de rouler sa moiteur, dans la boîte de carton, ton cerveau s'abîme; Les vagues lueurs d'une migraine à venir t'apparaissent. Ton sourire prend des airs ambigus au clair de la lune. Ton regard vide se vide encore un peu plus. Tu répètes quelques mimiques en boucle, sans trop de conviction, comme pour signifier qu'il n'y a pas de sens. T'es devenu l'ombre -chatoyante, certes, de toi-même.

La nuit commence à peine et déjà tu veux choir dans l'herbe, t'agripper à la terre.

8 avril 2013

Moins il y a d'homme, plus il y a d'âme

Depuis que je n'écris plus, je ne vis plus. Je suis comme un stupide papier d'emballage froissé, vide.
Ma tête est à côté de ma tête. Tout tombe par terre, car je ne sais plus où est mon corps. Je suis devenu une machine, ou plutôt un machin. Je ne suis plus tellement humain.
Sept cent dix millilitres de bière dans le frigo, ça me fournit une ambiance. Ça et l'absence de vie, les corps éteints dans les compartiments du bloc, les arbres lavés du dehors, dégoulinants, les poubelles qui dégringolent des balcons à l'éclairage jaune.
Comme il est bon, ce soir, de voir que personne ne s'en préoccupe.

Moins il y a d'homme, plus il y a d'âme.

Seul, je m'autorise à vivre un peu. J'entrouvre la fenêtre (crépitement de la fin du disque), et puis je me déplace dans l'appartement, réapprends à bouger.
On dirait que les forces de l'univers sont inversées, contraires, bienfaitrices pour une fois, comme dans une vieille encyclopédie. Tout est neuf et je peux voir le fil tendu entre les étoiles, les paumes de main moites de la nuit sur terre. Capter cette odeur et cette lumière, déjà sur le point de disparaître.

Je vais la boire, cette bière. Je vais me faire un petit cinéma, voir mes vies défiler dans la pénombre. Me balancer doucement, avec l'espoir que le bateau chavire.

C'était l'idée de départ, partir avec l'espoir de chavirer.

2 avril 2013

Les chats, la nuit.

La nuit, tous les chats sont châtains.
La nuit, tous les chats sont charbons. Tous les chats sont azurs. Tous les chats sont émeraudes. Tous les chats sont cobalts. Tous les chats sont lavandes. Tous les chats sont marines. Tous les chats sont saphirs. Tous les chats sont turquoises. Tous les chats sont briques. Tous les chats sont bruns. Tous les chats s'embrouillent.
Tous les chats sont albâtres. Tous les chats sont vermeils. Tous les chats sont ébènes. Tous les chats sont fuchsias. Tous les chats sont sépias. Tous les chats sont kakis. Tous les chats sont absinthes. Tous les chats sont topazes. Tous les chats sont rouilles. Tous les chats sont rubis.  Tous les chats s'y fondent, la nuit.

Tous les chats sont en feu.

28 janvier 2013

Bob, l'éternelle.

Cette semaine, je ferai un petit Breton de moi-même, et j'accompagnerai mon texte d'une, enfin de deux photographies, que je vous livre ici côte à côte.
La première (celle de gauche) date de 1967, et la deuxième de 2012.
Voici donc l'effort que je vous demanderai de faire: Simplement, de regarder attentivement ces deux images et de réaliser, de vraiment bien comprendre, que quarante-cinq années les séparent.
Prenez cinq minutes pour le faire.
























Quarante-cinq (45) ans, donc.
Oubliez l'homme au chandail de polyester (même pas) mauve, pauvre animal concupiscent disparu depuis si longtemps au fin fond d'un trou noir abyssal d'où personne n'est revenu. On ne compte plus les grains de poussière (et leurs descendants) qu'il constituât de sa carcasse et de son âme, au fil du temps, l'animal. Tous les cendriers de l'univers ne suffiraient pas à les contenir.

Elle, s'appelle Bob. Un prénom certes étrange pour une femme, j'en conviens. Nous ne traiterons pas de cette question ici. Précisons seulement qu'il advint, par un concours de circonstances, que Bob fut ma mère.
Je naquis en 1971, soit assez peu de temps après cette photo (celle de gauche) où elle semble bien tolérer les élans lubriques de mon père, vieux filou, va. Faut croire qu'il voulait un deuxième fils. Et il l'obtint! Puis il y eut la décennie soixante-dix, la décennie quatre-vingt, la décennie quatre-vingt dix, et la décennie deux mille.

Il y a quelques semaines, vers Noël, je roulais en direction de Québec, dans un autobus de la compagnie Orléans. Ces véhicules rembourrés/climatisés prétendent offrir à leur clientèle un confort absolument optimal. Et y parviennent.
De sorte qu'il devient difficile d'y faire quoi que ce soit d'autre que somnoler. Et qui s'en plaindrait?
Qui, dans cette existence violente de notre époque, sculptée à même l'angoisse des armes de destruction massive, ne rêve pas de tout bonnement somnoler?
En ce qui me concerne, peu importe le prix, chaque fois que j'ai besoin de me déplacer d'une ville à l'autre, j'opte pour ce type d'autobus.
C'est dans ces circonstances, ayant ouvert les yeux plus où moins sans raison, quelque part aux alentours de Trois-Rivières, que j'aperçus à côté de moi ma mère.
Mais pas la vieillarde quelle était devenue, non. Simplement ma mère, entre deux âges, une sorte de version immuable d'elle-même, telle qu'elle devait être aux alentours de 1980: Ce qu'on appelle souvent la force de l'âge. Elle somnolait aussi, et j'en ai profité pour la photographier.

Je suis ravi de savoir que tu existes encore sous cette forme non-altérée de toi-même, Bob, qui que tu sois dans tes rêves.
Et ravi aussi d'apprendre que d'une certaine manière, en un lieu particulier de l'existence, nous sommes condamnés à n'avoir pas d'âge, et à toujours exister.

18 janvier 2013

Quelle religion préférez-vous?
























a) Entre deux rêves, cette nuit, j'y ai réfléchi
b) Le vacarme des liens
c) Le brouillard de la solitude