27 novembre 2015

Apparté

À chaque rencontre véritable, après les politesses d'usage, on convient de différentes choses : Que le libre arbitre existe, que toutes les possibilités sont encore ouvertes, malgré les délais et des talents limités, et que l'âme ne vieillit pas.
Quand l'un des deux montre un signe de fatigue, l'autre répond de manière polie, et on se sépare, généralement, sans trop tarder.

Ensuite, une fine pellicule de poussière apparaît, créant cette impression de permanence, de pérennité, caractéristique de la nuit. Ce qui est une illusion.

La poussière est une notion extrêmement instable sur la terre.
 

24 octobre 2015

Cloches d'églises de l'Alentejo

La sonnerie des cloches de l’église d’Évora exprime une beauté fière, lumineuse, arrogante ; une beauté qui se sait trop inégalable, au point d’en voir son charme se gangrener progressivement, au fur et à mesure qu’il est goûté.
Cette sorte de beauté qui force l’admiration, comme un viol des libertés fondamentales, est impossible à réellement aimer. Ses manières intrusives induisent une amertume semblable à celle d’un sucre presque cuit, enfermé dans une jarre, trop longtemps exposée au soleil, dont on fera un alcool causant cécité, délire, et fureur menant au meurtre.

La sonnerie des cloches de l’église d’Évora, sidérante de fraîcheur, de vitalité, de jeunesse, depuis le onzième siècle, excite et séduit dans un premier temps, puis à la longue, écoeure.
Elle pousse tout étranger, tôt ou tard, à renoncer et à fuir.





Les cloches d’églises de Portalegre, terribles, expriment d’une voix rauque le visage le plus grimaçant du moyen-âge : Cette face tournée vers le malheur, scindée par la dureté de la pierre et du fer conjointement plantés dans le coeur.

Malgré cette chaux épendue sur tous les murs de toutes les maisons, et ce soleil brûlant, perpétuel, du Portugal, particulièrement fort ici, la ville de Portalegre n’en finit plus d’être positivement morte. Et à la nuit tombée, elle trouve toute sa splendeur morbide dans un silence, un scintillement blafard. Comme un caillot de peur hérité des grandes noirceurs de l’an mille.




Le tintement des cloches d’église de Castelo de Vide, avec la même finesse, la même délicatesse, qu’une main qui veut -et parvient- à guérir, arrive comme un salut qu’on n’attendait plus.

Cette sorte de cauchemar diffus dans lequel ton esprit s’embrouille, il ne sera pas éternel. Un jour, en plein soleil d’après-midi, place Don Pedro V à Castelo de Vide, quelqu’un viendra vers toi, embrassera doucement tes paupières d’endormi, prendra ta main dans ses mains tendres comme des feuilles d’arbre, et te chuchoteras à l’oreille quelque chose comme : Réveille-toi, mon ami, tu es guéri...



30 août 2015

L'agrile du frêne

Je ne sais pas pourquoi, ce matin je m'attends à découvrir, par exemple, qu'une famille habitait sur le toit de la maison depuis toujours, sans que je le sache.
Le père, loqueteux, penché au dessus du vide, qui demande à manger pour sa marmaille, dans des gestes d'étranger.
Ou à trouver une bête sauvage tapie au fond d'une mémoire de la cuisine, paniquée.
Ou qu'un boeing a percuté l'une des deux tours jumelles, encore.

Que serait la fête, sans tristesse?

Perdu l'habitude du calme. De la lumière qui se dépose sur un bouquet de fleurs, en paix avec l'ombre. De la rue mouillée, brillante, déserte.

Dans l'attente d'un retour à l'état de panique familier, les boyaux sortis du ventre, suspendus aux branches de l'arbre.

Parmi l'agrile du frêne. 



7 juin 2015

La terre tremble en permanence

Quel calme ce soir ; quel déséquilibre. On ne va peut-être même pas parler.
On va s’asseoir dans la nuit, tandis que le monde rate sa vie.

Mais comment t’as fait? Comment t'as fait pour vivre?

J’ai failli dire. Ça et : je regrette l’hiver.
Toutes phrases impopulaires, à éviter lors d’une entrevue d'emploi,
d’une nuit d’été.

Nous sommes à la recherche d’une personne triste pour occuper ce poste,
avais-tu claironné. Mais j’ai pu mal comprendre.
On entendait une mouche voler.

Curieux comme en ta présence, toujours, j’éprouve l’envie du mot luire.