17 janvier 2015

Torréfaction du malt

Ça m’effraie, cette histoire de ne pas pouvoir sortir de sa tête.
On ne le comprend bien que quand on hallucine, que quand ce moment dure, un tronçon de rue en plein occiput, suspendu.

Je veux me faire voir des étoiles, à coup de dettes à payer, à coup du sentiment étrange d’être sur la terre en train de respirer ; À coup de panique parce que la nuit commence, le verbe coincé entre les dents, à moitié soûl, à l’âge de quarante-trois ans, avec la perspective de peut-être demain pouvoir ramper comme une limace sur un misérable morceau de sucre probablement salé.

Mais d’où vient qu’on aime la bière?

Je veux me faire voir des étoiles lourdes, grasses du carburant de la terre ; des étoiles noires éphémères qui s’éteignent à coups de tessons de bouteille au milieu du cerveau ; qui dégoulinent toute la nuit sur le ciment dur où s’interrompt la pensée noire de monde obscur.

Poussière cérébrale semblable à de la neige ; Engrenage de plomb et d’asphalte mélangés ; Terre noire d’une clarté au bord du rêve ; Montagne de lieux écroulés.
Lumière confidentielle du ciel.

Ce que j’aime c’est sombrer.



9 janvier 2015

La persistance de l'instinct chez les êtres vivants, sous les apparences de l'intelligence

La persistance de l'instinct chez les êtres vivants, sous les apparences de l'intelligence, est pour moi l'un des spectacles les plus intimes et les plus constants. Le déguisement irréel de la conscience ne sert qu'à mettre en relief, à mes yeux, cette inconscience qui ne déguise rien.
De la naissance à la mort, l'homme vit esclave de cette extériorité à lui-même qui est celle des animaux. Durant sa vie entière, il ne vit pas, mais végète, à un degré supérieur et avec une plus grande complexité. Il suit certaines normes sans même savoir qu'elles existent, ni qu'il les suit, et ses idées, ses sentiments, ses actes sont tous inconscients - non pas qu'il manque aux hommes la conscience, mais parce qu'ils n'ont pas deux consciences.
L'intuition vague de ne posséder qu'une illusion - voilà le lot, et pas davantage, des plus grands hommes.
Je suis le fil - en laissant ma pensée divaguer - de l'histoire banale des vies banales. Je vois combien les gens sont esclaves, en tout, de leur tempérament inconscient, des circonstances extérieures imposées du dehors, des élans les poussant ou non au contact avec autrui, et qui dans ce contact même, par lui et grâce à lui, s'entrechoquent comme des coquilles de noix.
Combien de fois ai-je entendu répéter cette phrase qui symbolise toute l'absurdité, tout le néant et toute l'inconnaissance verbale de la vie, cette phrase qu'on prononce à propos d'un quelconque plaisir matériel : « Voilà tout ce qu'on emporte de la vie... » Emporter? Pour quoi faire? Pour emporter où? Que ce serait triste de les éveiller de l'ombre par une question pareille... Seul un matérialiste peut prononcer une telle phrase, parce que pour la prononcer il faut être, même inconsciemment, matérialiste. Que pense-t-il donc emporter de la vie, cet homme, et comment? Où croit-il emporter sa côte de porc arrosée de vin rouge?

-Fernando Pessoa, Le livre de l'intranquillité

1 janvier 2015

Le jour de l'an

L’animal qui s’ébranle
à côté du fer dans la ruelle
est un trop gros gibier
pour continuer de vivre

Ses yeux roulent
jusque dans les tanins morts du ciel
fermé aujourd’hui

J’attends avec les autres
extirpés des logements
d’apercevoir la première coulée
de lave ou d’asphalte

Je lance ma camisole de laine
dans la neige fumante
et retiens mes deux bras de tomber

Personne ne sait quoi faire pour que la journée passe

Et à chaque nouvelle minute
quelqu’un perd son souffle
dans les fonds caverneux
de l’immense poitrine

brûlante