27 novembre 2015

Apparté

À chaque rencontre véritable, après les politesses d'usage, on convient de différentes choses : Que le libre arbitre existe, que toutes les possibilités sont encore ouvertes, malgré les délais et des talents limités, et que l'âme ne vieillit pas.
Quand l'un des deux montre un signe de fatigue, l'autre répond de manière polie, et on se sépare, généralement, sans trop tarder.

Ensuite, une fine pellicule de poussière apparaît, créant cette impression de permanence, de pérennité, caractéristique de la nuit. Ce qui est une illusion.

La poussière est une notion extrêmement instable sur la terre.
 

30 août 2015

L'agrile du frêne

Je ne sais pas pourquoi, ce matin je m'attends à découvrir, par exemple, qu'une famille habitait sur le toit de la maison depuis toujours, sans que je le sache.
Le père, loqueteux, penché au dessus du vide, qui demande à manger pour sa marmaille, dans des gestes d'étranger.
Ou à trouver une bête sauvage tapie au fond d'une mémoire de la cuisine, paniquée.
Ou qu'un boeing a percuté l'une des deux tours jumelles, encore.

Que serait la fête, sans tristesse?

Perdu l'habitude du calme. De la lumière qui se dépose sur un bouquet de fleurs, en paix avec l'ombre. De la rue mouillée, brillante, déserte.

Dans l'attente d'un retour à l'état de panique familier, les boyaux sortis du ventre, suspendus aux branches de l'arbre.

Parmi l'agrile du frêne. 



7 juin 2015

La terre tremble en permanence

Quel calme ce soir ; quel déséquilibre. On ne va peut-être même pas parler.
On va s’asseoir dans la nuit, tandis que le monde rate sa vie.

Mais comment t’as fait? Comment t'as fait pour vivre?

J’ai failli dire. Ça et : je regrette l’hiver.
Toutes phrases impopulaires, à éviter lors d’une entrevue d'emploi,
d’une nuit d’été.

Nous sommes à la recherche d’une personne triste pour occuper ce poste,
avais-tu claironné. Mais j’ai pu mal comprendre.
On entendait une mouche voler.

Curieux comme en ta présence, toujours, j’éprouve l’envie du mot luire.

23 mars 2015

Aucune lueur ne meurt

Il s’agit de lumière ce que tu as choisi d’enfouir dans le creux de tes mains vers la fin de cet après-midi puis tout au fond d’une poche de ce pantalon que tu comptes oublier pendant des années au fond du garde-robe sous un bordel de boîtes n’est-ce pas.

Tout ça pour rêver, la nuit. Tout ça pour grincer des dents. Ou peut-être sans raison précise, sachant qu'aucune lueur ne meurt.

Imagine qu’à partir d’un certain moment de ta vie, tu te mettes à entendre une voix grasse, inextinguible, en sourdine, qui marmonne continuellement, sans que tu puisses en comprendre un seul mot. 
C’est affolant au début, puis on tolère. La voix devient hurlante, parfois défonce les murs... On s'habitue. 
Des années passent, avant qu'on puisse ouvrir les yeux même une seconde.

Tu vois cette lumière, ce soir, sous la porte, et le silence alentour?
Ne te lève surtout pas, ne va pas ouvrir.

Je ne sais pas c’est quelle époque et je ne veux pas le savoir. 

 

8 mars 2015

Porte ouverte aux malheurs

Je ne sais pas ce qui me rend tellement fébrile : Soit la perspective d’écrire avec une plume de feu, soit de me perdre dans un pathétique bordel d’images chaotiques et inutiles qui, en fin de compte, composent mon univers mental.

De toute façon, je suis fait comme un rat. La moustache en moins. Je lutte pour trouver une sortie.

C’est comme quand on roule pendant des heures à 140 sur l’autoroute, la nuit, et que d’un coup, sans réfléchir et sans raison, on bifurque pour s’engouffrer dans une sortie bâtarde, minuscule, même pas indiquée, où personne ne va jamais, et qu’on atterrit sur une route de terre cahoteuse, où la seule lumière est celle de nos phares, plaquée sur un mur de noirceur opaque.
On imagine le loup bleu qui viendrait nous accueillir si on avait le malheur d’immobiliser la voiture, d’éteindre le moteur, d’ouvrir la portière et d’attendre quelques minutes, violant l'air pur de notre haleine.

Et puis bien entendu, suivant notre inclination naturelle, on s’arrête, coupe le moteur. On ouvre la portière, détache notre ceinture, et on ose un pas dehors.
On s’avance, dans la noirceur, à pas de loup, la respiration trop ample, des coups de tambour au coeur.

En quête d'éclaircissements.

17 janvier 2015

Torréfaction du malt

Ça m’effraie, cette histoire de ne pas pouvoir sortir de sa tête.
On ne le comprend bien que quand on hallucine, que quand ce moment dure, un tronçon de rue en plein occiput, suspendu.

Je veux me faire voir des étoiles, à coup de dettes à payer, à coup du sentiment étrange d’être sur la terre en train de respirer ; À coup de panique parce que la nuit commence, le verbe coincé entre les dents, à moitié soûl, à l’âge de quarante-trois ans, avec la perspective de peut-être demain pouvoir ramper comme une limace sur un misérable morceau de sucre probablement salé.

Mais d’où vient qu’on aime la bière?

Je veux me faire voir des étoiles lourdes, grasses du carburant de la terre ; des étoiles noires éphémères qui s’éteignent à coups de tessons de bouteille au milieu du cerveau ; qui dégoulinent toute la nuit sur le ciment dur où s’interrompt la pensée noire de monde obscur.

Poussière cérébrale semblable à de la neige ; Engrenage de plomb et d’asphalte mélangés ; Terre noire d’une clarté au bord du rêve ; Montagne de lieux écroulés.
Lumière confidentielle du ciel.

Ce que j’aime c’est sombrer.



9 janvier 2015

La persistance de l'instinct chez les êtres vivants, sous les apparences de l'intelligence

La persistance de l'instinct chez les êtres vivants, sous les apparences de l'intelligence, est pour moi l'un des spectacles les plus intimes et les plus constants. Le déguisement irréel de la conscience ne sert qu'à mettre en relief, à mes yeux, cette inconscience qui ne déguise rien.
De la naissance à la mort, l'homme vit esclave de cette extériorité à lui-même qui est celle des animaux. Durant sa vie entière, il ne vit pas, mais végète, à un degré supérieur et avec une plus grande complexité. Il suit certaines normes sans même savoir qu'elles existent, ni qu'il les suit, et ses idées, ses sentiments, ses actes sont tous inconscients - non pas qu'il manque aux hommes la conscience, mais parce qu'ils n'ont pas deux consciences.
L'intuition vague de ne posséder qu'une illusion - voilà le lot, et pas davantage, des plus grands hommes.
Je suis le fil - en laissant ma pensée divaguer - de l'histoire banale des vies banales. Je vois combien les gens sont esclaves, en tout, de leur tempérament inconscient, des circonstances extérieures imposées du dehors, des élans les poussant ou non au contact avec autrui, et qui dans ce contact même, par lui et grâce à lui, s'entrechoquent comme des coquilles de noix.
Combien de fois ai-je entendu répéter cette phrase qui symbolise toute l'absurdité, tout le néant et toute l'inconnaissance verbale de la vie, cette phrase qu'on prononce à propos d'un quelconque plaisir matériel : « Voilà tout ce qu'on emporte de la vie... » Emporter? Pour quoi faire? Pour emporter où? Que ce serait triste de les éveiller de l'ombre par une question pareille... Seul un matérialiste peut prononcer une telle phrase, parce que pour la prononcer il faut être, même inconsciemment, matérialiste. Que pense-t-il donc emporter de la vie, cet homme, et comment? Où croit-il emporter sa côte de porc arrosée de vin rouge?

-Fernando Pessoa, Le livre de l'intranquillité

1 janvier 2015

Le jour de l'an

L’animal qui s’ébranle
à côté du fer dans la ruelle
est un trop gros gibier
pour continuer de vivre

Ses yeux roulent
jusque dans les tanins morts du ciel
fermé aujourd’hui

J’attends avec les autres
extirpés des logements
d’apercevoir la première coulée
de lave ou d’asphalte

Je lance ma camisole de laine
dans la neige fumante
et retiens mes deux bras de tomber

Personne ne sait quoi faire pour que la journée passe

Et à chaque nouvelle minute
quelqu’un perd son souffle
dans les fonds caverneux
de l’immense poitrine

brûlante


Dernier message rue Marmier

C'est la fin pour Rue Marmier. Parce que j'habite maintenant loin de cette rue, et que je me situe ailleurs aussi, sur tous les plan...