28 octobre 2023

Étude pour piano

 

Le sommeil me harponnait sur le divan, tandis que Paul Jacobs déversait dans le milieu de ma tête toutes les notes du premier livre d'études pour piano de Debussy, pêle-mêle, apparemment, sans même une poussière sous l'aiguille. On aurait dit que je comprenais enfin la musique, justement de ne plus la comprendre.

J'avais commencé à réfléchir, entre deux gorgées de tisane, à préparer mes choses sur la terrasse en prévision de l'hiver. Les bâches, les cordes, les élastiques, comment j'allais tout envelopper, tout disposer en vue du pelletage, etc.

Le plus embêtant était Paul Jacobs lui-même, et surtout, son piano à queue. Parce qu'il faudrait une bâche immense, ou en combiner plusieurs; soulever le piano afin que les pattes soient aussi protégées du contact direct avec la neige. Le pianiste mort en 1983 se montrerait probablement docile, pensai-je, mais il afficha une humeur sombre, alors que je commençais à envelopper sa tête sous une bâche bleue, qui sentait bon les feuilles pourries et le début d'hiver.

Je me sentis bien vite fatigué, écrasé par la complexité de la tâche. La vie terrestre était décidément quelque chose de lourd, de fatal, un navire destiné à sombrer : C'était mission impossible.

J'abandonnai les bâches au vent. La neige n'avait qu'à venir. Je ne bougerais plus jamais, n'ouvrirais plus jamais les yeux, ni Paul Jacobs d'ailleurs. Ma doudou me suffisait. Et la musique. Et les vapeurs de la tisane. La face b du disque était interminable, les notes continuaient de s'égrainer sans fin et défieraient bientôt les premiers flocons, qui ne tarderaient sûrement pas, à en juger par la couleur du ciel.