13 décembre 2014

Petite fée des brumes

J’ai enlevé le bruit, augmenté la luminance et enfin pu revoir ton visage dur comme ciel.
T’as d’beaux yeux indéchiffrables, tu sais? Ou plutôt t’avais.

Parce que t’es tombée dans l’oubli, un jour pas si lointain. T’as sali l’insoluble et choisi de te défiler.
Un choix discutable dont on a jamais parlé.

Mais t’as laissé traîner dans le ciel quelque chose comme une planche de salut.
Un bout de prélart virtuel, couleur crépuscule, au motif abstrait. 
Quelque chose qui s'étiole.

Petite fée des brumes, sur le point d’expirer, tu sais que je rêve.
Mais je comprends et je souhaite continuer.

4 décembre 2014

Cap espoir

Lancer mes pantoufles de toutes mes forces dans l’appartement est ma révolte de prédilection. Ça ne se downloade pas en application malheureusement.

Le monde s’intériorise et s’endort, tout doucement... T'entends? Il faut s’approcher d’un peu plus près : Des hurlements à peine audibles, voire un chantage intérieur, personnel. Un objet de miracle blanc, à la fois mât et brillant, comme un gros bloc de sel.

Mais ça ne veut rien dire.

J’entends rendre l’âme toute la nuit, à satiété, faire des desseins que personne n’aimera. Mais on pourra effacer ou choisir la couleur, en un clin d’oeil hyper violent.
Je pense aux années qui passent dans la pénombre et je te le dis, c’est dément!

Se fendre la gueule, je connais. L’impact est dérisoire mais l’effort fatigue. Comprendre, s’évanouir. Comprendre encore, des paroles marmonnées en guise de coïncidence.
Faut garder le cap, et surtout, ne pas perdre le fil.

Les gens ont la foi jusqu’à ce qu’ils meurent.


26 septembre 2014

A través de

Je ne sens même pas que la journée passe
imagine
tellement je l'ai de travers

T'es là je crois
tu sais j'ai même peur
que tu sois

Imagine

qu'il n'y a plus vraiment de jours
Tout le temps la brunante

Ta conscience qui peine à s'éveiller
s'endormit

Tout le temps ce même bleu
qui te passe 
a través de

20 septembre 2014

À la manière de...



De ces autoportraits réalisés entre 2002 et 2004, avant les blogues, avant que je possède un appareil photo numérique, je gardais une sorte de souvenir coupable... un peu comme de la fois où on s'est branlé aux chiottes, à l'école, adolescent. On ne le dit à personne, même si c'était bien.
Ces photos, je ne les ai à peu près jamais montrées.
Hier, en découvrant l'oeuvre de Francesca Woodman sur le blogue de Mita Ghoulier, j'ai été frappé. C'est comme si ces autoportraits avaient été faits à la manière de... Francesca Woodman! Ça me semble assez proche du pastiche...
Pourtant je connais son oeuvre depuis 2 jours. Mes autoportraits traînaient dans une boîte depuis 10, 12 ans.
Comme c'est étrange.










13 mai 2014

Matin du 13 mai

C'est une femme qui n'avait jamais existé.

Dans le rêve, pourtant, elle était là, trépidante de vie. J'étais très amoureux.
Et conscient, aussi, qu'il ne me serait plus possible de prolonger le sommeil davantage.

Tu comprends que bientôt je vais ouvrir les yeux, et qu'on ne se reverra plus jamais? 

Il y eut une dernière seconde, un dernier regard, extrêmement intense.

26 avril 2014

À quoi ça sert la lumière?

Cette vieille pomme rabougrie, elle est pour moi.

Laissé quelques sous noirs sur le comptoir, suis sorti.
Dehors inspirait, expirait.
Faciès blanc, faciès d’argent.

Je n’ai même pas envie de dire.
Juste exulter sombrement.
Qu’est-ce que c’est que le monde?

Tête en limailles de fer. Corps en nuages.
Monde de pleurage, de scintillement ; Monde buriné de partout, à force de coups.
On peut réduire le bruit en augmentant la luminance.

Me suis vu marcher, de l’autre côté de la rue, avec ce drôle d’air humain.
Les pages de mon cahier tournaient toutes seules, impossible d’écrire.
Plutôt voir des sons emplir le ciel. Crier.

Le temps de rentrer.

Déposer mes vieilles bottes devant la porte.
Cuir et bois grincent. L’acier brille.
Tenter de résumer toute une vie en quelques pépins.
 
Coeur de pomme sur le trottoir, oublié.
Rembruni.

9 avril 2014

Message de fin de soirée

Même en avalant du vin sans le goûter, sans regarder l’étiquette, tu ne devines pas mieux la réalité : Dans l’oscillation, le plaquage du mur le plus proche contre le plus lointain, ton esprit ne devient pas matière. Tu ne peux pas toucher ce qui est hors de toi, comme la mouche devant la fenêtre, qui maintient son élan jusqu’à ce que la douleur devienne aussi vaste que l’horizon qu’elle désirait. Couche-toi donc! disait la voix brisée, un peu endormie.
Impossible de répondre avec des mots.
Tu avances les grognements (qui te vaudront des coups plus tard quand tu changeras d’apparence) et qui, selon ma perception, possèdent la même valeur qu’un bouquet de fleurs sauvages attachées avec de la grosse corde. Enfin. Je te bénis! Je bénis ton âge actuel!

Je refais souvent le rêve du clodo appuyé sur le mur d’un vieil édifice, quelque part dans la ville, dont la bouteille de vin (vide) s’échappe et roule bruyamment sur l’asphalte, qui hurle Je t'aime encore! des années durant. Le monde a peur de ça.
L’immense usine intestinale de son corps propulse des gaz épicés jusque dans le ciel, formant un nuage doré, qu’il contemple d’abord, qu’il cherche ensuite à prendre dans des gestes semblables à ceux d’un bébé, aussi poignants, malgré l’absence totale de musique.
Pense-t-il à une femme qui existe? À une femme qui a existé?
Silence d’un, de plusieurs grains de sable. Silence dur. Dans une baignoire, quelque part, une petite crotte flotte.
Je ne veux pas ouvrir les yeux tout de suite.

Demain, le nuage va se dissiper. Un monstre à tête d’homme va te faire un signe que tu ne comprendras pas. Tu vas continuer ton chemin, récompensée à chacun de tes pas (timides) par une bouffée de joie éphémère.
C’est dans des circonstances semblables, j’imagine, qu’on va se revoir.

31 mars 2014

Nature morte


j'ai toujours voulu qu'elle meurre
c'est ma mère     Elle est en train de mourir
le prénom s'unit à la personne
comme le nahual
femme grande forte résolue
elle a détesté son prénom de lutin  minuscule
vaporeux charmant et redoutable
il ne la définissait pas ne la décrivait pas
elle n'a jamais pu devenir son prénom
elle m'en a assigné un avec des traits indélébiles 
j'ai détesté mon prénom
un à ma soeur un avec des traits indélébiles
elle a détesté son prénom
personne n'a pu devenir son prénom
arrive la mort
à cet instant
enfin
ma mère minuscule
comme un lutin 
comme son prénom

arrive la mort
je n'ai pas pu la caresser 
je n'ai pas pu tenir sa main
lasse
je suis restée à deux mètres
la regardant mourir

-Monica Mansour, Nature morte

27 mars 2014

Une de mes photos en couverture d'un (autre) livre!


la table dressée toujours impeccable
des nappes brodées ou frangées avec leurs serviettes assorties
la vaisselle de porcelaine anglaise
la verrerie en cristal taillé
l'argenterie sortie de son meuble
le dessous de bouteille décoré de raisins

la table impeccable
les plateaux présentent divers délices
les fleurs au centre
cérémonie quotidienne
pour plaire aux convives
pour manger avec les manières les plus raffinées
pour engager des conversations légères
douces aimables

tous goûtent les plats parfaitement préparés 
tous sourient 
craignant une raillerie
ou une injure dissimulée
la table impeccable
la tension impeccable
violence silencieuse
brutale


Nature morte/Naturaleza muerta de Monica Mansour, édition bilingue français/espagnol, publié conjointement par les écrits des Forges (Québec) et Casa abierta al tiempo (Mexique).

23 mars 2014

Les aventures d'Ange sur la ligne orange

1-  À tous les jours, Ange apercevait le même quêteux au bas de l’escalier roulant, station de métro Beaubien.
Il s’était fabriqué deux pancartes, l’une en français, l’autre en anglais, qui annonçaient la même chose : Fatigué. Affamé. Besoin d’un peu de change pour dormir + manger.
Ange rechignait à se départir de quelques pièces, gagnées à force d’un très long ennui au boulot. D’une part elle soupçonnait l’homme de réserver l’essentiel des aumônes recueillies à l’achat de bouteilles d’alcool fort de qualité déplorable, d’autre part elle préférait réserver cet argent pour nourrir sa passion à elle -enfin, l’une de ses passions : La découverte et la dégustation des vins.
Elle ne détournait par contre jamais le regard, et offrait au quêteux des sourires pour lesquels certains hommes auraient été prêts à débourser beaucoup. Ange débordait de charme, précisons-le. Elle avait appris qu’il lui était préférable, dans beaucoup de situations de la vie, de le contenir le plus possible, de le réfréner : Il était arrivé que des hommes trop vigoureux, rendus fous parfois pour presque rien -l’ébauche d’un sourire, à peine, lui avaient causé des tas d’ennuis.
Elle réservait sa beauté à quelques rares fins finauds, qui parvenaient à provoquer son rire, ou son délicieux sourire, à force d’astuces, et s’en voyaient récompensés ainsi de leur talent, ou encore à des désespérés, comme ce quêteux, qui ne représentaient plus, de toute façon, le moindre danger.
L’homme lui rendait son sourire, et parfois laissait échapper un Merci bien senti.
Ange, en ces occasions, se sentait bon cœur. Elle y trouvait de quoi nourrir l’idée qu’elle était une personne généreuse, et développait une opinion assez favorable d’elle-même. En ce sens, bien qu’elle n’en eût pas conscience, cette générosité bien placée constituait une sorte d’investissement, désintéressé, soit.
Fière d’elle, une fois dehors, elle laissait s’épanouir encore un peu, puis s’évanouir, la lumière de son visage, dont un ou deux chanceux parvenaient encore à profiter, à la dérobée, sur le trottoir, aux lueurs de la brunante.

Ce soir, le quêteux n’arborait plus ses pancartes, Ange avait pu le constater, déjà, de loin. Il semblait ébranlé, plus chancelant qu’à l’habitude. Son manteau, encore en un morceau la veille, était déchiré sur toute l’épaule. La nuit avait été mauvaise.
Lorsqu’elle arriva au bas de l’escalier, trop inquiète, elle n’arriva pas à former un vrai sourire, scrutant le faciès détruit de l’homme.
Celui-ci chercha aussitôt, sur le visage d’Ange, la chaleur dont il avait pris l’habitude, mais ne la trouvant pas, laissa échapper le mot Tristesse, de façon apparemment involontaire. Le mot avait glissé de sa bouche, et s’en était allé choir au bas de l’escalier roulant, comme une feuille morte. Mais Ange avait bel et bien entendu : Tristesse.
Elle voulut répondre quelque chose, hésita un instant, puis, poussée par la foule, continua son chemin et sortit de la station de métro.
Il faisait presque soir, déjà, et il faut dire que la faim la tenaillait. Elle pressa le pas. Un reste de braisé d’agneau aux abricots l’attendait chez elle, et bonheur des bonheurs, au moins la moitié d’une bouteille de ce merveilleux Val de Loire.


2-  Ange était une originale. Dans le beau monde, il lui était relativement facile de paraître raisonnable et civilisée, esclave, comme il se doit, des principes de la bienséance. Elle s’amusait même à donner l’exemple dans l’exercice de la politesse et des gestes les plus civilisés et les plus convenus. En réalité, c’était pour elle comme de jouer au théâtre. Et en ce sens, elle appréciait l’exercice, surtout s’il ne s’étirait pas trop. Car plus les idées de grimaces, de singeries, et d’absurdités, qui bouillonaient en elle, tardaient à trouver exutoire, plus ses nerfs s’échauffaient.
Il lui arrivait souvent de drôles d’idées, des idées frôlant l’absurde, dans toutes les situations de la vie. Et elle possédait ce talent, cette audace, nécessaires à leur exécution immédiate. Le texte Théorie et jeu du duende, de Federico García Lorca, était l’une des œuvres fondatrices de sa personnalité. Cela vous en dit beaucoup.

Les trajets en métro lui étaient toujours d’un ennui. Elle éprouvait de la fascination à observer tous ces gens, enfermés en eux-mêmes, persuadés, ou presque, d’être inatteignables. Mais la peur les tenaillaient tous, car ils n’ignoraient pas, au plus profond, à quel point c’était faux. Les êtres évoluaient, toutes chairs à vif, dans un monde où la violence  -immense bête à tête chercheuse, allait tôt ou tard s’abattre au hasard. Et la folie et la joie pure pourraient faire partie de ses manifestations, ce qui ne rassurait pas grand monde.
Ange s’amusait à y réfléchir au moment où ce jeune homme entra, station Crémazie : Un garçon de treize ans, gros enfant plein de santé, bien gâté, à l’air maussade, encore exempt de tout attribut viril, il parcourut le wagon du regard, mais aucune place n’était libre, et il comprit que le hasard l’avait désigné à rester, lui seul, debout. Ange remarqua sur son visage imberbe l’expression mal contenue de la frustration. Sans hésiter, elle se leva, effleura la manche du garçon, et arborant un de ses sourires lumineux, sans rien dire (il aurait été risqué, à ce moment, de pouffer de rire) lui désigna son siège. L’adolescent hésita, puis, sans pouvoir englober réellement les tenants et aboutissants de la situation, résolut de s’asseoir, sans dire merci.
Ange continua donc debout. Feignant comme tous les autres passagers de n’éprouver aucune émotion, elle ressentait pourtant une joie, une jubilation intense, à l’idée de sa finesse d’esprit. La beauté de son corps délié irradiait, malgré les vêtements d'hiver, dans cet univers plus beige que nature. Comme si chaque atome de sa chair trépidante, même endormie, ou ensevelie sous les couches de tissus industriels, pouvait rendre n'importe quel homme instantanément fou de désir.
L’adolescent, après l’avoir scrutée longuement, s’engouffra dans un trou noir, et fit le reste du trajet la bouche ouverte. Et humide.


3-  Il s’agissait d’une de ces journées où le moral flanche : Un dimanche après-midi neigeux de la fin mars, sans aucune trace de soleil ou d’une couleur autre que le gris, sinon ce blanc bleuté qui, à force d’usure provoque le mal de cœur.
Enfin, le peuple semble avoir abdiqué : le boulevard Saint-Laurent d’ordinaire très fréquenté, à ce niveau, était plutôt vide. Une neige molle, cotonneuse, de fin d’hiver, remplissait presque complètement l’espace désert.
Ange occupait ce poste à la librairie Comptoirmag, spécialisée en magasines, revues, papeterie et romans de format poche, depuis quelques années déjà. Malgré des affaires peu florissantes, son patron semblait déterminé à garder l’établissement ouvert. Allez savoir pourquoi.

Ange s’ennuyait ferme. Le dimanche était une journée sans tâche spécifique, comme l’achalandage était d’ordinaire assez bon, rien d’autre n’était prévu à la tâche. Du haut de son comptoir, elle était absorbée à la contemplation du dehors. Alfred Brendel exécutait les 6 moments musicaux de Schubert, seul au piano, à faible volume, dans un coin.
Ce vieux Brendel grichait, sans doute lui aussi déprimé par la neige. Mais la mélancolie sublime, qu’exprimait la musique, réussissait à percer : Ange aurait pu pleurer.

À ce moment, un client pénétra dans la boutique, retira son capuchon, le secoua pour en faire tomber la neige, et fit claquer ses bottes à l’entrée, avant de se diriger vers les calepins Moleskine, sans même un regard pour Ange. Un type grassouillet, mal rasé, cheveux ébouriffés, début quarantaine, qu’un ennui trop profond avait poussé à sortir de chez lui à la recherche d’une distraction, n’importe laquelle.
Quelconque, pensa Ange, Ils sont tous tellement quelconques. Les mois, les années passaient, et elle gaspillait sa beauté, son esprit, à servir dans cette boutique. Qu’avait-elle à faire avec ces gens? Qu’avait-elle à faire avec les habitants de ce pays? De cette planète?
Le type s’avança vers le comptoir, ayant jeté son dévolu, en fin de compte, sur un simple journal. Il n’avait jusqu’ici même pas levé les yeux pour la voir. Quel minable, pensa-t-elle. Elle ne le salua même pas, ne prit même pas la peine de lui dire le montant exact de son achat, après calcul des taxes, accepta son billet et lui rendit la monnaie dans le creux de sa main tendue. Voulez-vous un sac, monsieur? soupira-t-elle, comme le type tardait à s’éclipser, semblant ruminer quelque idée obscure en réajustant ses lunettes.
À ce moment, l’homme releva la tête, plongea son regard d’enfant dans celui d’Ange, puis, d’un geste assez théâtral, ouvrit les bras comme s’il s’apprêtait à prononcer une bénédiction. Oui madame, je vous le demande, donnez-moi un Sacre, claironna-t-il assez fort, d’une superbe voix de baryton.
Le rire d’Ange vola en éclats, emplissant de manière violente et splendide toute la boutique. L’homme resta prostré un instant, bras ouverts, le sourire fendu jusqu’aux oreilles, accueillant cette averse de pépites d’or inattendue d’un air satisfait.
Lorsqu’elle parvint à calmer un peu son fou rire, il lui fit un signe ambigu de la main et sortit avec son journal, sans rien ajouter. 
Merci, pensa Ange, en regardant l’homme s'engouffrer dans la tempête. Les petits spasmes involontaires, qui continuaient d’agiter sa poitrine, de façon de plus en plus espacée, mirent longtemps à s’estomper complètement.

2 mars 2014

Sur la gueule

Il y a que tout est trop blanc. Je ferme les yeux et je vois : du sucre en poudre, de la farine, de la neige, bien sûr. Regarder vers le bas, vers le (presque) sombre : Trouver ce vieux vinyle jamais écouté : des partitas de Bach par Glen Gould. Allright, il griche juste ce qu’il faut. Des pépites de lumière du ciel, égrenées (presque) machinalement. Ça me poursuit, tiens. Trop brillant pour moi : Je prendrais que les saletés, les grichements, je m’en ferais une couverture contre la lumière, tu vois?

Chercher le plaisir dans un verre de vin blanc trop acide, trop froid. Serrer la coupe à deux mains, pour la réchauffer, s’y agripper. Sicile, c’est écrit, mais j’y crois pas. Disons Cracovie, peut-être. Le vin improbable, celui dont personne ne veut, je l’ai! Je le sens partout dans mon corps, qui cherche à me dire quelque chose : Je t’habite, je t’habitais, je t’habiterai. Après quelques gorgées, quand même, ça va mieux. C’est comme de revenir chez soi après une longue absence : Crispation des joues en une sorte de  sourire. Puis les vagues, l’amertume.

Il règne un calme ici. Comme quand on déboule l’escalier, juste après. On reçoit une avalanche de  souvenirs sur la gueule. Il y a, par exemple celui du cabinet de dentiste, un de mes favoris. Le bruit des machines, des voix d’adultes dans la pièce d’à côté, de cette lumière trop intense, qui te viole.
Et puis, après une longue attente, il surgissait de derrière, puant la haine et l’alcool, d’un pas décidé à te saccager.
Ouvre la bouche grand, hurlait-il. Et moi, affolé, qui ne comprenais pas.

Une trentaine d’années ont passé : j'ai vécu, j'ai traversé beaucoup de pays, d'universités, mais il m’arrive encore de me demander, à l'occasion, ce qu’il pouvait bien vouloir dire par là.

7 février 2014

Un arrêt à Repentigny

Lorsque l'autobus s'immobilisa à l'intersection du boulevard Brien et de la rue de la Fayette, tout s'obscurcit.
De la noirceur, ou plutôt, une sorte de gris trois-quart, comme un voile. Je ne pourrais dire s'il s'agissait d'un phénomène psychique, occulaire, ou extérieur, une sorte de rideau réellement tombé sur le monde. Je privilégiais surtout cette hypothèse d'ailleurs, sans raison.

On n'y voyait pas grand chose dans le bus, mais à l'occasion, des ombres remuaient. Ça et là quelques éclairs lumineux provenant d'âmes anxieuses : La lumière des cellulaires, la seule qu'il nous reste aujourd'hui.
Je n'étais pas seul passager à bord, mais rien que d'imaginer l'air hébété d'une de ces gargouilles au moment où je l'apostropherais, cherchant à obtenir quelconque éclaircissement au sujet de l'obscurité tombée sur le monde, d'imaginer sa physionomie se décomposer, devenir bouillie, un sentiment de désespoir, matiné d'angoisse, s'insinuait dans ma chair à la vitesse d'un shoot.
Et puis je ne savais pas si ces gens étaient toujours vivants, ou s'ils n'étaient que trace de civilisation en processus de décrépitude accélérée ; des sortes de copies carbone de la vie, des fossiles.

Nous avions quitté Montréal il y a fort longtemps. Je ne savais plus si nous étions au mois de janvier ou de février, si la dernière fois où j'avais ouvert les yeux remontait plutôt à une heure, ou vingt-quatre, par exemple.
Mais je savais où l'on était. Ces interminables cimetières de bungalows le long de l'autoroute, ce vernis brun appliqué à toute la surface d'un ciel en faux-fini, ces terre-pleins maculés d'enseignes affichant le prix du litre d'essence (notion parfaitement abstraite), l'asphalte ruminant de désespoir dans le crépuscule ; l'aura lumineuse des lampadaires dispersés ça et là au hasard d'immenses terrains de stationnement vides, sans aucune logique apparente, m'indiquaient qu'on était bel et bien à Repentigny.
L'autobus s'immobilisa. On coupa le moteur, et puis plus rien. Je laissai retomber des paupières lourdes comme des croutes de béton.

Lorsque je m'éveillai, beaucoup plus tard, l'autobus roulait. Au bleu très sale de tout à l'heure, s'était substitué un noir pur et prégnant. L'asphalte courait de manière violente sous nos pieds. Il semblait que la terre avait été débarrassée de tous ses panneaux de signalisation, d'indication de lieu et de temps. Et ce n'était pas plus mal : L'important était d'aller quelque part.

Et cette pensée me donnait l'envie de continuer à vivre. Jusqu'aux lumières de mars et d'avril.

2 janvier 2014

Une de mes photos en couverture d'un livre!





Arrive un enfant et toute la vie d’une femme se transforme radicalement : c’est à partir de ce constat que l'auteure dessine une sorte de cartographie des commencements. Ses poèmes, courts et denses, aux images vives, relient par la mémoire, grâce à un fil d’Ariane émotionnel, départs et arrivées.
Les souvenirs s’assemblent autour de la mère décédée -elle-même émigrante- de la propre famille de la narratrice, ainsi qu’autour de la naissance de sa fille.

Marche tais-toi descends : l’eau inonde les frontières

Les émigrants, de Gaëlle Le Calvez, paraîtra en janvier 2014 en édition bilingue français/espagnol, publié conjointement par les écrits des Forges (Québec) et Casa abierta al tiempo (Mexique).

Dernier message rue Marmier

C'est la fin pour Rue Marmier. Parce que j'habite maintenant loin de cette rue, et que je me situe ailleurs aussi, sur tous les plan...